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L’expatriation une notion très controversée au Cirad

par | 15 Avr 2013

Les notions d’expatriation tout comme celles de détachement ne sont pas définies clairement en droit du travail. Il s’agit initialement de notions relevant du droit de la protection sociale. Lorsqu’un employeur envoie un salarié à l’étranger pour y travailler, il doit donc se préoccuper des conséquences de cette décision au regard d’une part, de la relation de travail (contrat, convention collective…) et d’autre part, du régime de protection sociale (cotisation, retraite, assurance chômage, prévoyance…). Et les conséquences sont différentes selon que l’on se situe dans l’un des deux régimes applicables en matière de sécurité sociale, à savoir le détachement ou l’expatriation.

Le détachement s’entend par définition comme la situation d’un fonctionnaire affecté temporairement hors de son cadre d’emploi d’origine (Larousse). Il s’agit d’une forme d’expatriation mais pour une durée limitée sur le sol d’un autre état. Le détachement en France peut recouvrir 2 situations :

– la première concerne le salarié détaché à l’étranger. Les articles L761-1 et suivants du Code de la Sécurité Sociale précisent les règles applicables en la matière. La durée de ce détachement est prévue pour une période de 3 ans renouvelable une seule fois.

– la seconde concerne le salarié détaché dans le cadre communautaire. La Commission Administrative des Communautés Européennes pour la Sécurité Sociale exige plusieurs conditions, dont, l’affiliation du salarié au régime de protection social dans l’état où est établi l’employeur et le maintien du lien de subordination entre l’employeur et le salarié pendant son détachement. Dans ce cas, la durée du détachement ne peut excéder une durée de 12 mois renouvelable une fois pour une durée maximale de 24 mois.

D’une manière générale, si la durée maximale du détachement est dépassée ou si la période de carence n’est pas respectée, le salarié perd son statut de détaché au profit de celui d’expatrié.

Un expatrié est un individu résidant pour un long séjour dans un autre pays que le sien. Dans l’hexagone, on le préfère au mot « émigré » lorsqu’il s’agit de qualifier des Français établis hors des frontières du territoire national pour des raisons professionnelles. L’expatriation recouvre également deux situations:

– La première correspond à une personne qui quitte son pays soit pour aller rechercher un emploi dans un autre état, soit parce qu’elle a été recrutée par une entreprise étrangère.

– La deuxième situation vise l’envoi d’un salarié à l’étranger par son entreprise établie et exerçant en France, pour une durée importante et en général supérieure à celle d’un détachement.

Dans les deux cas, le salarié est alors déclaré non-résident fiscal français et ne cotise pas à l’assurance maladie française.

Il est toutefois possible de déroger à cette règle de manière exceptionnelle pour préserver le régime de sécurité sociale français du salarié en utilisant le statut de détachement. Mais cette solution n’est possible que si le pays d’accueil n’est pas lié à la France par une convention bilatérale de sécurité sociale. Dans le cas contraire la législation applicable au salarié, tant en matière de sécurité sociale que de droit du travail, est celle du lieu où il exerce son activité professionnelle. Cela signifie que le salarié qui ne peut plus être maintenu au régime français de protection sociale, est systématiquement assujetti au régime local.

C’est pourquoi le contrat de travail d’un salarié expatrié est soumis en principe à la législation du pays d’accueil et le contrat de travail d’un salarié détaché à la législation du pays d’origine, sauf en présence d’une clause contradictoire dans le contrat.

Dans le cadre de l’UE, le principe d’égalité de traitement s’applique. Le salarié français exerçant dans un pays de l’UE bénéficie des mêmes droits et reste soumis aux mêmes obligations qu’un salarié travaillant sur le plan national.

D’un premier abord, on peut penser que le salarié bénéficie d’une meilleure couverture sociale en cas de détachement. Mais, le salarié expatrié a toujours la possibilité d’être maintenu au régime français au travers de l’assurance volontaire de la Caisse des Français de l’Etranger (CFE). Ce qui lui permet d’avoir une protection sociale se rapprochant de ce dont il aurait bénéficié s’il travaillait en France.

Il faut savoir qu’en pratique la majorité des entreprises, dès lors que le séjour du salarié dépasse l’année, opte pour l’expatriation car celle ci est économiquement plus intéressante (même avec une prise en charge des cotisations CFE).

Qu’en est-il au CIRAD ?

Dans le cadre des activités du Cirad et de sa vocation à contribuer au développement des régions chaudes, la mobilité des agents peut prendre différentes formes, mais la plus courante reste l’expatriation. Le détachement ne concerne qu’une infime partie des agents (41 personnes en 2010).

L’adoption de ce double système, dont l’application est parfois tout à fait antinomique au Cirad, est incomprise depuis des années par plus d’un Ciradien et en premier lieu les « Domiens », nonobstant les dispositions de la loi européenne.

Dans la conception ‘‘ciradienne’’, l’expatriation concerne aujourd’hui tous les agents embauchés ou intégrés en métropole et affectés hors de France métropolitaine. C’est à dire qu’elle concerne aussi bien les agents qui partent à l’étranger que ceux qui partent dans les DOM. Si la convention d’entreprise du Cirad est quasiment muette sur la définition de l’expatriation, il n’en reste pas moins que l’accord d’entreprise du 9 octobre 1995 relatif au régime des expatriés précise la notion de séjour hors de France métropolitaine :

« Dans le cadre d’une affectation hors de France métropolitaine, le séjour correspond à la durée d’activité nécessitée par le service, au cours d’une période de douze mois, quels que soient le nombre et la durée des congés intervenant durant la dite période. La durée normale du séjour est de dix mois. Cependant, la durée du séjour peut être modifiée pour des raisons de service, ou du fait de circonstances exceptionnelles. »

Le cadre général de ce même accord précise également que :

« Les conditions dans lesquelles un agent est affecté sont définies clairement à l’occasion de son départ, dans un document qui précise notamment, les objectifs, les moyens de travail et particulièrement le cas échéant la mise à disposition d’un véhicule de service ou l’utilisation du véhicule personnel à titre professionnel, la durée de l’affectation, la périodicité des congés. L’agent a la garantie de retrouver à son retour en métropole un emploi correspondant à ses compétences et sa qualification ».

Au delà de cette notion vue par le Cirad, la première question qui se pose lorsque l’on envoie un agent à l’étranger ou dans un DOM est de savoir, malgré tout, quel va être son statut : détaché ou expatrié ?

On parle beaucoup de contrat expatrié, contrat local, statut expatrié, de détaché, de mis à disposition … De quoi perdre un latin durement acquis.

Même si nous sommes là en terrain inconnu, il convient de faire le point sur ces pratiques qui se développent de plus en plus au Cirad. Nous sommes ainsi passés durant ces deux dernières décennies de 75 à plus de 160 expatriés à travers le monde.

L’expatriation est visiblement la notion qui a été retenue par le Cirad. Outre la problématique de la protection sociale, nous pouvons observer que la Direction n‘applique pas de différences de traitement entre celui qui part réellement à l’étranger et celui qui part dans un département français d’outre mer.

Si bien que les expatriés affectés dans un DOM français bénéficient, au même titre que leurs collègues affectés à l’étranger, de plusieurs indemnités de sujétions et d’avantages en nature conséquents liés à leur statut. Ils leur sont spécialement attribués pour compenser les contraintes subies et les risques encourus dans l’exercice de leur fonction. Toutefois des adaptions ont été nécessaires afin que chaque situation fasse l’objet d’une attention particulière de la part de la Direction Générale.

Aujourd’hui, le réseau du Cirad à travers le monde et notamment celui dans les DOM accueille différemment les agents expatriés et les agents locaux. Il n’existe pas non plus de définition d’agent local en droit du travail mais on considère généralement que ‘c’est un agent engagé dans des lieux situés en dehors de l’Union européenne conformément aux usages locaux en vue d’exécuter des tâches:

– manuelles ou de service, dans un emploi non prévu sur les crédits globaux ouverts à cet effet ;

– autres qu’il ne serait pas justifié de faire exécuter par un fonctionnaire ou un agent ayant une autre qualité’.

Pour rappel, le maintien des agents locaux dans l’établissement a, depuis la création du Cirad en 1984, obéi à la nécessité de restructuration de l’établissement, qui imposait d’intégrer dans le nouveau dispositif tous les agents issus des anciens instituts de recherche et de recourir de plus en plus à de la main d’œuvre hautement qualifiée pour venir travailler dans les DOM avec les agents locaux. Loin d’être une osmose parfaite, cette politique a permis de cantonner le personnel local aux tâches d’exécution et de les éloigner des activités à responsabilités.

En effet, par comparaison avec les expatriés, logiquement plus mobiles, les agents locaux restent longtemps dans leur fonction. Cette longévité continue à nuire à la performance individuelle des agents locaux, de telle sorte que la majorité d’entre eux sont sans perspectives d’évolution de carrière. D’un autre coté, elle tend également à augmenter le différentiel de rémunération avec les expatriés. Par exemple, la surrémunération accordée aux expatriés croit nettement plus vite que celle des agents locaux et curieusement à un rythme sensiblement équivalent à l’évolution prévisible des rémunérations de leur confrère de la fonction publique. De fait, le personnel local se révèle, à responsabilités comparables, moins coûteux que les agents expatriés.

Fort de ce constat, l’emploi d’agents locaux ne va pas sans risque de disparition au profit des expatriés, et plus récemment à cause de l’envoi massif des volontaires de service civile (VSC) dans les DOM, comme en témoigne la baisse significative du nombre d’agents locaux depuis ces 20 dernières années (de 317 à 251). Par exemple, au Cirad à la Réunion le nombre d’agents locaux est passé dans cette même période de 140 à 110 personnes. En revanche, le nombre d’expatrié a augmenté de 180 % (passant de 20 à plus de 56 agents), sans compter les 70 contrats supplémentaires (allocataires de recherche, CDD….), et la présence de plus de 40 VSC (soit 61% du nombre total de VSC au Cirad).

Dans un contexte aussi sombre qui peut nourrir socialement la révolte, il est important d’afficher les manquements et les contradictions de la politique de recrutement local. Comment les agents locaux peuvent-ils échapper à un sentiment de discrimination lorsqu’ils sont considérés comme des salariés de seconde zone ?

La situation que connaissent les agents locaux appelle des changements profonds. Ce qui implique pour le Cirad la restitution à chaque domien de son statut d’origine (agent recruté hors de France métropolitaine). Par conséquent, un retour de tous les autochtones sur la convention nationale est une demande légitime dont un des corolaires est la justice sociale.

Les employés domiens sont lassés de l’inertie de la Direction et voudraient que les dirigeants comprennent que le mécontentement est à son maximum et que cette situation a bien trop duré.

Peut-on encore considérer comme pertinent un statut qui confère la faculté à des agents sous convention métropole de s’expatrier à l’intérieur de leur propre patrie ?

Et pourtant, c’est le régime sous lequel vivent beaucoup de salariés privilégiés (111 contre 250 salariés domiens) dans cet EPIC, au grand dam des agents locaux.